Voyage à la rencontre de l’art et de soi-même

Interview croisée avec Bruno Dufour-Coppolani, professeur d’arts plastiques, et Nathalie Peyrat, professeure de philosophie au lycée Le Verrier, Saint-Lô.

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Pourriez-vous nous présenter votre établissement ?

BD-C : Quand Anne Descamps était proviseure ici, elle a transformé le lycée en lui donnant une forte couleur culturelle et en accompagnant totalement les options artistiques. Elle a permis un renouveau de notre établissement qui est maintenant reconnu pour son volet artistique. C’est ainsi que 150 élèves suivent l’option « Arts Plastiques » chez nous et beaucoup poursuivent leurs études en écoles d’art en France ou à l’étranger, de la photograhie à la mode en passant par la BD ou l’architecture.  J’ai ouvert l’option « arts » ici il y a une vingtaine d’années et ai eu la chance de suivre cette évolution. Notre lycée s’ouvre sur une galerie accessible à tous et toutes grâce à un partenariat avec la ville de Saint-Lô. Par ailleurs, tous les ans, d’anciens élèves qui sont en Bac + 4 ou + 5 reviennent présenter une de leurs œuvres à l’occasion d’une exposition intitulée « Retour vers le futur » et la commentent aux lycéen-ne-s, mais aussi aux collégien-ne-s et parents qui sont invité-e-s.

D’où la spécificité du voyage que vous organisez chaque année.

BD-C : Tout à fait, il vient s’insérer dans cet ensemble. Et participe à la transversalité : c’est ainsi que l’an dernier, par exemple, nous avons visité à Milan le Museo Nazionale della Scienza e della Tecnica « Leonardo da Vinci » un musée consacré à Léonard de Vinci associé à un musée des sciences. L’enseignement d’arts plastiques est ouvert à tous les croisements possibles. La philosophie est très liée à l’art, d’où le travail avec ma collègue Nathalie Peyrat. Dans ce cadre là, depuis dix ans, avec Nathalie qui est à l’origine de ce projet, nous proposons aux élèves inscrit-e-s en option « arts » un voyage de quatre à cinq jours à l’étranger, voyage différent chaque année. Je m’occupe de la programmation et des musées, Nathalie de la gestion du voyage, Xavier Vallet, CPE, des transports et nous emmenons toujours un-e jeune assistant-e avec nous.

Les voyages sont-ils uniquement centrés sur l’art ?

BD-C : Non, ce sont des croisements entre l’architecture des villes visitées, les villes en elles-mêmes (dimension urbaine : historique, bancaire, portuaire, industrielle…) et la découverte de ce qu’est un musée pour certain-e-s élèves, avec une dominante « art » dans laquelle je veille toujours à faire visiter un musée d’art historique avec des pièces maîtresses (Brueghel, Rubens,Caravage…), un musée d’art moderne (Mondrian…) et un musée d’art contemporain. C’est le cœur de nos visites. Nous travaillons également sur l’histoire de la ville et la dimension philosophique de l’art. Et je garde un œil sur l’événementiel ; ainsi, cette année, nous avons changé sur place le programme pour que nos élèves puissent assister à une exposition temporaire de Thierry Mugler au Kunsthal Rotterdam.

Justement, parlez-moi du voyage 2019. 

BD-C : Il s’est déroulé du 16 au 21 octobre à Anvers (Maison de Rubens, musée Mayer van den Bergh, M HKA et Middelheimpark), Rotterdam (Kunsthal, collectif AVL, ports ancien et moderne, évocation d’Érasme), La Haye (Mauristhuis, Gementemuseum Den Haag, urbanisme et société) et Delft (maison de Vermeer, quais). Chaque élève avait un livret de travail de soixante pages qui présentait toutes les visites prévues pendant le voyage. Lors de chaque visite, la professeure de philosophie double toujours la lecture des œuvres : par exemple, la question du corps, de la mort avec Francis Bacon, la modernité avec Kasimir Malevitch ou la notion de désir chez « La jeune fille à la perle » de Vermeer quand nous étions à La Haye. De retour en France, j’étudie en cours la plupart des pièces maîtresses que nous avons vues. 

NP : Un autre exemple, nous avons évoqué un texte d’Emmanuel Levinas devant un tableau de Rembrandt avec la question du visage qui s’intégrait dans la notion « Autrui, éthique et infini », texte que nous avons ensuite étudié en détail en cours. Il s’agit de leur montrer que les questions esthétiques peuvent être en même temps questions philosophiques. Abordées conceptuellement en philosophie, elle le sont du point de vue du sensible par l’art. La pensée a de multiples supports.

BD-C : Les sciences, l’art et la philosophie sont trois entrées pour appréhender le monde, mais ce sont toujours les mêmes questions qui sont traitées. Il est essentiel que nos élèves saisissent cela. Notre pari est gagné quand nos élèves le comprennent et que, par ailleurs, nous leur avons donné l’envie de rentrer dans des musées.

NP : Et nous leur apprenons à respecter le lieu « musée » qui est un lieu du sacré et non du profane. Se retrouver face à une œuvre, « voir » est une expérience nouvelle pour un certain nombre. Ils apprennent à se détacher de leur être ordinaire pour entrer en relation avec un absolu.

Quelle belle conclusion ! Je suis certain que tous les lecteurs ne rêvent que d’une chose : s’inscrire à votre voyage en 2020 !

Mise à jour : décembre 2020